Résumé Le but de cet article est de montrer que l’étude minutieuse du trajet de la notion de bon sens dans la pensée de Bergson, au croisement de réflexions sur le normal psychologique, les normes sociales, et l’action morale, révèle au sein de son œuvre un ensemble de profondes tensions entre la question de la nature de la santé mentale et de celle de l’aptitude morale. Haut de page Entrées d’index Haut de page Texte intégral 1 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, Mélanges, Paris, PUF, 1972, p. 370. 1La notion de bon sens, mentionnée explicitement dans la plupart des ouvrages de Bergson, depuis Matière et Mémoire jusqu’aux Deux sources de la morale et de la religion, ne constitue pas à proprement parler un concept central de la pensée bergsonienne, ne serait-ce qu’en vertu du peu d’importance qui lui est, quantitativement, accordé. Cela dit, après l’avoir examinée pour la première fois en détail dans le discours de remise des prix du concours général prononcé le 30 juillet 1895 et intitulé Le bon sens et les études classiques, Bergson n’aura de cesse de revenir sur la définition de cette notion et sur la description de la réalité à laquelle elle renvoie. L’étude de cette notion a donné lieu à des interprétations très différentes chez les commentateurs et il semble que cela soit dû à deux facteurs premièrement, cherchant pour la plupart à considérer la notion de bon sens comme un bloc homogène malgré certaines contradictions manifestes entre les différents ouvrages, ils n’ont pas assez pris en compte les évolutions et modifications qui ont marqué le trajet de la notion de bon sens dans le corpus bergsonien depuis le discours de 1895. Deuxièmement, il semble que la plupart d’entre eux ait accordé une trop faible importance à la distinction que Bergson opère dans Les deux sources de la morale et de la religion, entre un bon sens ordinaire et un bon sens qu’il désigne comme bon sens supérieur ». Ainsi, sans céder à la tentation de produire une exposition plus systématique de la doctrine et aussi l’apparence d’une clarté supérieure »1, nous souhaiterions mettre en avant le fait que l’examen attentif des variations subies par la notion de bon sens permet de mettre en lumière le trajet de la pensée de Bergson elle-même en ce qui concerne la question de l’action juste et plus largement, du champ de l’activité morale. 2 Ibid., p. 364. 3 Ibid., p. 360. 4 H. Bergson, L’énergie spirituelle, op. cit., p. 893 Cela, c’est veiller, c’est vivre la vie psy ... 2En effet on peut remarquer, dès le discours de 1895, l’entrecroisement de deux lignes dans la définition du bon sens il est posé à la fois comme une santé mentale, comme le bon fonctionnement de l’esprit qui permet son adaptation souple, sa disponibilité à l’égard d’une réalité se renouvelant sans cesse, mais aussi comme un instrument, avant tout, de progrès social »2, mu par ce que Bergson désigne comme l’esprit de justice ». Cette binarité est reprise dans la lettre à O. Gérard, préambule du discours dans l’édition des Mélanges le bon sens est la faculté de raisonner juste, non seulement sur ses propres affaires, mais encore et surtout sur celles du pays »3, le bon sens étant caractérisé à la fois par la justesse de son adaptation et la justice de son action. Or, il apparaît très vite que les ouvrages immédiatement ultérieurs ne reprennent et n’approfondissent que la première dimension de cette définition, faisant du bon sens une forme originale de santé mentale, pensée comme effort et comme équilibre. À partir du Rire puis dans l’Évolution créatrice, cette caractérisation du bon sens comme vie psychologique normale »4 s’enrichit d’une réflexion sur la dimension proprement sociale de la réalité humaine le bon sens, sens social défini comme souple disponibilité à l’égard de la fluidité des échanges humains, intègre à présent un certain nombre de normes et de paramètres sociaux dans son fonctionnement. C’est cette dépendance du normal psychologique à l’égard des normes sociales que nous envisagerons dans un premier temps. 3C’est seulement dans Les deux sources de la morale et de la religion, sur la base d’une réflexion sociologique renouvelée qui distingue à présent deux types de sociétés c’est-à -dire, deux types de rapports entre individus et normes sociales et deux types de justices, que le bon sens retrouve la dimension morale comme facteur de progrès social produisant des actions justes que le discours lui prêtait. Mais ce retour ne se fait qu’au prix de la distinction entre un bon sens supérieur et un bon sens ordinaire qui permet, certes, de résoudre les difficultés posées par le discours de 1895, en expliquant par le bon sens supérieur » la possibilité d’une action créatrice de normes, mais qui semble cependant remettre en question la définition du normal psychologique donnée précédemment, ou qui suggère tout du moins l’existence d’un conflit latent entre la morale et le normal dans la pensée bergsonienne. Nous examinerons donc en second lieu cette distinction capitale, qui met d’autant plus en jeu le rapport de la définition du normal » à la problématique morale selon laquelle l’individu moral, le mystique, est un individu anormal en au moins deux sens, qui se trouvaient au cœur du bon sens ordinaire d’une part, en échappant à l’égoïsme et la loi du talion qui prévalent dans la société close, il ne s’adapte plus aux normes sociales mais les modifie ; et d’autre part, sa singularité s’exprime par des manifestations pathologiques, qu’elles soient appelées délire mystique ou perceptions anormales ». 5 Id., Matière et mémoire, Œuvres complètes, op. cit., p. 294 Entre ces deux extrêmes [l’impulsif ... 6 Il est, dans Le Rire, continuité mouvante de notre attention à la vie », Œuvres, op. cit., p. 475 ... 7 Ibid., p. 475. 8 Matière et Mémoire, op. cit., p. 296‑302. 9 Mélanges, op. cit., p. 620. 10 Le Rire, op. cit., p. 476. 11 V. Jankélévitch, Henri Bergson, Paris, PUF, 2008, p. 127‑128. 12 H. Bergson, Mélanges, op. cit., p. 620 Tous ne sont pas capables de cette vie de travail, tous ... 13 Dans Matière et Mémoire, Bergson semble encore n’attribuer à l’aliénation que des causes biologique ... 4 Un bref examen du bon sens tel qu’il est caractérisé depuis Matière et Mémoire jusqu’à l’Évolution créatrice permet de voir combien le normal, la santé mentale qu’il incarne, est déterminé par les exigences vitales et sociales à partir de Matière et Mémoire, le bon sens apparaît en effet à la fois comme un équilibre psychologique entre deux tendances ennemies de l’action, la tendance corporelle à l’automatisme et la tendance spirituelle au rêve5, et comme effort d’attention à la réalité6. Il est en effet présenté comme une tension visant à tenir à égale distance les souvenirs issus des deux pôles opposés du moi que sont la mémoire corporelle et la mémoire pure et qui cherchent à s’insérer dans la perception présente. Agissant en amont du travail discriminant de la conscience en laiss[ant] tous les souvenirs dans le rang »7, le bon sens déblaie le terrain à partir duquel celle-ci sélectionnera, en s’appuyant sur les formes motrices, la schématisation des souvenirs purs, les lois du rappel et la condition générale de ressemblance, le souvenir apte à s’intégrer profitablement à la perception présente pour l’informer. En tant que sens pratique », il est gage de souplesse dans la prise en compte de la réalité présente et muselle la tendance à agir mécaniquement, sous l’impulsion de la reconnaissance automatique qu’a la mémoire habitude des idées générales »8 dans la perception. En tant que sens du réel »9, il est lié à la veille et est un effort de tension contre l’évasement, la diffusion des souvenirs purs qui caractérise la dérive pathologique de Don Quichotte, en qui la mémoire pure a pris l’ascendant et qui, au lieu d’utiliser ses souvenirs pour percevoir de manière adaptée, se sert au contraire de ce qu’il perçoit pour donner un corps au souvenir préféré »10. En tant qu’ oubli réglementé et durable, […] art de liquider son passé »11, le bon sens s’insère dans une conception du normal fondée sur l’idée que la santé mentale résulte d’un effort de tension qui s’écarte donc par degrés du pathologique qui peut résulter alors d’une forme de paresse psychologique telle qu’elle a été identifiée par Pierre Janet chez les psychasthéniques12, telle qu’elle s’exprime surtout à partir de l’Energie spirituelle13. Par cet effort de tension, l’individu se rend capable de fournir une réponse ajustée aux circonstances et à ce que requiert la situation, le bon sens est donc lié aux exigences vitales qui déterminent l’adaptation de l’individu, la survie individuelle. 14 Le Rire, op cit., p. 450. 15 Les deux sources de la morale et de la religion, p. 1065. 16 Guy Lafrance, La philosophie sociale de Bergson, sources et interprétation, Ottawa, éditions de l’u ... 17 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1065. 18 Ibid., p. 1065. 19 Ibid., p. 1065. 5Même si Bergson distinguait déjà dans le discours de 1895 le milieu naturel, domaine d’action des sens, du milieu social », domaine d’action du bon sens, c’est seulement à partir du Rire qu’il entame une analyse de la dimension proprement sociale de l’existence, et c’est aussi dans cet ouvrage que le bon sens, dont l’opposé est désormais le comique [qui] exprime avant tout une certaine inadaptation particulière de la personne à la société »14, se précise sous l’aspect d’une adaptation au réel dans sa dimension sociale. Cet aspect de la notion se retrouve, très fortement accentué, dans Les deux sources, où le bon sens est non seulement décrit comme sens social » mais encore caractérisé comme inné à l’homme normal »15 cette innéité qui équivaut à la préfiguration de la société dans l’individu »16, s’explique par la nécessité pour la nature de donner à l’homme des directives, au moins générales, pour la coordination de sa conduite à celle de ses semblables »17. Aussi, s’il n’y a nul doute que notre structure psychologique ne tienne à la nécessité de conserver et de développer la vie individuelle et sociale »18, cela signifie que le bon sens embrasse dans sa compréhension de la situation présente la compréhension des normes qui régissent l’agir en société et, par conséquent, que celles-ci s’intègrent à ce qui fait chez Bergson la santé mentale. Ainsi, le délire d’interprétation » qui se caractérise par une incapacité à comprendre le comportement d’autrui, résulterait, selon Les deux sources, d’un défaut de bon sens qui s’expliquerait in fine par une insuffisance psychique […] congénitale »19. Le bon sens prend donc ici les traits d’une prédisposition à s’adapter avec fluidité aux impératifs sociaux, c’est-à -dire d’une souplesse adaptative prédéterminée, point qui marque sans conteste une originalité de la pensée biologique et sociologique bergsonienne. 20 Le Rire, op. cit., p. 457‑458. 21 Ibid., p. 451. 22 Ibid., p. 457. 6Déjà , à travers les mutations subies entre l’Essai et le Rire par la notion de caractère » qui devient dans le Rire ce qu’il y a de tout fait dans notre personne, ce qui est en nous à l’état de mécanisme une fois monté, capable de fonctionner automatiquement »20, apparaît une tension entre l’idée, exprimée dans le discours, que le bon sens aurait partie liée avec la liberté du moi telle qu’elle était évoquée par l’Essai, et sa définition comme capacité de souple adaptation sociale dans le Rire. En effet, il faut remarquer non seulement que cette adaptation à la mouvance de la réalité sociale aurait peut-être été jugée automatique du point de vue de l’Essai en tant qu’émanant des couches superficielles du moi comme dans le fameux exemple du réveil, mais encore que la critique de l’automatisme dans le Rire effectue un renversement puisqu’elle n’est plus tournée contre ce qu’une action peut avoir d’impersonnel mais bien contre ce qu’elle peut avoir de trop personnel au détriment d’une prise en compte des autres est comique le personnage qui suit automatiquement son chemin sans se soucier de prendre contact avec les autres »21 et qui néglige de regarder autour de soi »22. S’il est possible de considérer, pour résoudre cette tension, que le bon sens a partie liée avec la transition du moi profond vers le moi superficiel, nécessaire à l’insertion de l’esprit dans la matière en amont de l’insertion dans une situation sociale, il n’empêche qu’elle apparaîtra à nouveau dans la distinction entre bon sens ordinaire et bon sens supérieur, sous la forme d’une tension entre une impulsion venue du moi profond et s’imposant à l’extérieur et une impulsion venue de l’extérieur s’imposant, en le solidifiant, au moi profond. 23 Bergson fait référence de manière explicite à la conception cartésienne du bon sens dans le discour ... 24 H. Bergson, Le Rire, op. cit., p. 452‑453. 7Si la description du bon sens ordinaire a mis hors-jeu la problématique de la justice et de l’action morale en charge du progrès social telle qu’elle était exprimée dans le discours de 1895 et qui rappelait le lien établi par Descartes entre bon sens et recherche d’une vérité pratique23, c’est précisément d’une part parce que le principe selon lequel le vital engendrerait le social qui engendrerait à son tour le normal, que Bergson pose au fondement même de sa définition de la santé mentale, contribue à substituer à la problématique de la justice de l’action celle de la justesse de l’adaptation. D’autre part, cela est incontestablement lié à l’examen du fonctionnement de la vie sociale auquel Bergson se livre dans Le Rire puis dans Les deux sources, et qui lui a permis d’affirmer dès le premier de ces ouvrages qu’ être en règle avec la stricte morale » n’a rien à voir avec le fait de se mettre en règle avec la société »24 le bon sens, devenu faculté d’adaptation souple au réel social et d’insertion bien ajustée dans le tissu humain, apparaît définitivement lié à cette seconde opération. Reste à présent à examiner, sur la base même de cette définition de la santé mentale et de son lien avec la vie sociale, comment la notion de bon sens supérieur se trouve au cœur d’un renversement de la pensée bergsonienne prenant corps dans Les deux sources et qui a pour but de rendre possible l’action morale. 25 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 365. 26 Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1174. 27 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 366. 28 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1056. 29 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 362. 30 Ce que Guy Lafrance appelle une justice intuitive », cf. La philosophie sociale de Bergson, sourc ... 31 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 32 Ibid., p. 362. 33 Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1169. 34 Ibid. p. 1172. 35 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 36 Les deux sources de la morale et de la religion, p. 1017. 8C’est parce que le bon sens est au cœur de la réflexion bergsonienne sur le rapport de l’individu aux normes sociales et sur la justice que l’étude de cette notion permet d’aborder sous un jour nouveau l’itinéraire et l’évolution de la pensée bergsonienne concernant l’action juste. Cette problématique, laissée de côté de Matière et Mémoire à l’Évolution créatrice, réapparaît dans Les deux sources et la plupart de ce qui était posé à titre de postulat dans le discours de 1895 y est repris, repensé et intégré à la problématique plus vaste d’une réflexion sur les rapports qui unissent morale et société. Le discours de 1895 apparaît donc comme un programme, un ensemble d’intuitions abandonnées en l’absence d’un appareillage conceptuel suffisant. Il est important de souligner les correspondances qui existent entre les deux œuvres pour mieux comprendre ce qui explique l’abandon puis la reprise de la problématique morale dans la définition de la notion de bon sens dans l’œuvre de Bergson. Ainsi, l’idée d’une action de bon sens orientée vers le progrès de l’ensemble de la société était soutenue dans le discours par le pressentiment d’un lien unissant principe de la vie et capacité à produire des actions justes et progressistes de la part de l’individu de bon sens. Bergson y affirmait en effet de la notion de bon sens si elle porte ainsi avec elle l’intelligence de la vie, c’est sans doute qu’elle en a touché le principe »25, cette idée essentielle d’un fondement de la morale dans la prise de contact avec le principe de la vie se retrouve dans Les deux sources où Bergson évoque au sujet des agents du progrès humain l’action de l’élan de la vie, cet élan même, communiqué intégralement à des privilégiés qui voudraient alors l’imprimer à l’humanité entière »26. Et de fait, à l’idée exprimée dans le discours selon laquelle il est rare que la nature produise spontanément une âme affranchie et maîtresse d’elle-même, une âme accordée à l’unisson de la vie »27, répond l’affirmation des Deux sources selon laquelle les mystiques et les êtres novateurs constituent en eux-mêmes une espèce nouvelle composée d’un individu unique »28. En outre, la définition du bon sens comme ignorance consciente d’elle-même »29 dans le discours de 1895 trouve un écho dans la définition du bon sens supérieur donnée dans les Deux sources comme innocence acquise », Bergson ajoutant dans les deux cas que cette ignorance doit s’accompagner d’un effort. Là n’est sans doute pas pourtant le plus important en effet, la principale difficulté du discours est l’affirmation selon laquelle le bon sens produit irrémédiablement les actions les plus justes possibles30 dans un contexte donné, sans qu’il consiste pourtant ni dans une expérience plus vaste, ni dans des souvenirs mieux classés, ni même, plus généralement, dans une logique plus rigoureuse »31, arguant qu’il choisit la meilleure solution à une situation donnée parce qu’il peut en prévoir [l]es conséquences, ou plutôt les pressentir »32. La question de l’infaillibilité morale de l’action de bon sens est finalement abordée à nouveau par Bergson lorsqu’il évoque dans Les deux sources le bon sens supérieur des mystiques, en termes de discernement prophétique du possible et de l’impossible »33 qui fournit du premier coup la démarche utile, l’acte décisif, le mot sans réplique »34. De plus, on retrouve enfin clairement exprimée l’idée que le bon sens est, comme on pouvait le lire dans le discours, un instrument de progrès social »35, puisque Bergson, qui fait du bon sens supérieur l’apanage des mystiques, gratifie ceux-ci d’une capacité essentielle à pousser l’humanité en avant »36. 37 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364 Instrument, avant tout, de p ... 38 Ibid., p. 366. 39 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 40 Georges Mourélos, Bergson et les niveaux de réalité, Paris, PUF, 1964, p. 175‑176. 9Si Bergson, après le discours, avait écarté au profit d’une réflexion sur la santé mentale cette problématique de l’action morale qu’il retrouvera dans Les deux sources, c’est peut être à cause de l’insuffisance des outils conceptuels dont il disposait en matière d’analyse des rapports entre morale et société en 1895, dans la mesure où il n’avait pas analysé les liens que la société entretient avec le développement d’une morale. En effet, la réflexion sociologique qui sous-tend le discours de 1895 semble assez irréaliste poussée jusqu’au bout, elle implique que, n’était le pouvoir pétrificateur de l’intelligence, l’ensemble de la société, guidé par le bon sens, agirait toujours non seulement de manière parfaitement adaptée à la situation présente mais encore toujours en vue du plus grand bien et du plus grand progrès social, étant constamment animé par l’ esprit de justice »37. Cette conception optimiste qui attribue comme principe à la vie sociale ce même esprit de justice », puisqu’on ne peu[t] [s]e représenter ces volontés associées sans une fin dernière raisonnable »38, a cédé le pas dans les œuvres ultérieures à une analyse de l’origine vitale de la vie sociale orientée vers la survie de l’espèce et qui détermine, par ses normes, l’appréhension du réel il semble donc que ce soit une modification au sein même de la réflexion bergsonienne sur la société, ses normes, et le rapport des individus à ces normes, qui a dû présider au destin de la notion de bon sens dans son œuvre. Si le discours de 1895 distinguait en passant une justice abstraite » d’une justice incarnée dans l’homme juste »39 la première étant discréditée au profit de la seconde, pour pouvoir penser l’acte véritablement moral, cette distinction n’était pas assez précise, ne s’appuyant pas sur l’arrière-plan sociologique élaboré dans Les deux sources qui seul permet, en distinguant la société close de la société ouverte, de distinguer par là même deux véritables types de justices une justice relative et une justice absolue. C’est cette distinction qui permet en effet de résoudre le paradoxe du bon sens comme étant à la fois un sens de l’adaptation au réel social mais aussi une aspiration innée au progrès au sein de chaque individu, puisqu’elle permet de lier la première tendance à la justice relative, celle dont le fondement est œil pour œil, dent pour dent et qui s’exprime dans la dimension close de la société puisque la raison d’être de la morale close est, comme l’ont souligné certains, l’adaptation de l’individu40. La seconde est désormais liée à une justice absolue, qui fonde une morale de l’aspiration, elle-même visant l’avènement d’une société ouverte. 41 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 365. 42 Id., Deux sources, op. cit., p. 1169. 43 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 361. 10En outre, dans Les deux sources, Bergson expose une double conception du rapport de l’individu aux normes sociales en ce qui concerne la société de type clos, les normes sociales agissent sur l’individu dans la mesure où elles poussent son moi profond à se solidifier en s’extériorisant, processus auquel, nous l’avons vu, le bon sens ordinaire n’est pas étranger, mais l’idée d’une société ouverte permet de briser le cercle dans lequel tournoie l’espèce humaine, prise dans la circularité close, en permettant de penser l’influence de l’individu d’exception, ayant presque par miracle échappé à l’obsession de l’utilité vitale, sur la société, par le biais de la création de valeurs morales. À un mouvement passif de réception et d’intégration des normes afin de bien s’insérer dans le réel, analysé dans le Rire et l’Évolution créatrice, peut succéder un mouvement de projection hors de soi qui modifie en retour le réel, mouvement requis par les thèses du discours de 1895. La distinction entre une société close et une société ouverte est ce qui permet à Bergson de comprendre à nouveau le bon sens comme une poussée vers le progrès moral guidée, comme le voulait le discours de 1895, par l’esprit de justice qui lui montre les injustices à corriger et le bien à faire »41. En effet, le bon sens supérieur recherche non pas l’adaptation à des normes préexistantes en vue de favoriser la survie individuelle, mais bien une action en retour sur la société, l’établissement de normes radicalement nouvelles dont le principe est désormais le contraire de celui d’utilité, à savoir la justice absolue fondée sur l’amour. Le bon sens supérieur, loin de recevoir passivement une stimulation à l’action émanant des impératifs vitaux et sociaux de la situation présente, loin de fournir seulement une réponse aux questions posées par son environnement, précède toute sollicitation extérieure et vise à imposer dans la réalité commune la réponse à une sollicitation émanant du fond de l’individu. Il est ainsi un goût de l’action » mis en jeu lorsque le mystique choisit de diffuser son esprit dans la matérialité et est encore, à ce titre, comme le bon sens ordinaire, une capacité de s’adapter et se réadapter »42 à la mouvance du réel. Cependant sa visée n’est plus l’ajustement aux exigences vitales mais bien, comme le voulait le discours, la production de la plus grande somme de bien »43. Ce n’est qu’au prix de la transformation du bon sens en un bon sens supérieur, appuyé sur une justice absolue et non plus relative, et supérieur » puisqu’entre temps le bon sens avait été défini comme santé mentale, que Bergson a pu en 1932 retrouver ce qu’il avait seulement supposé en 1895. 44 Ibid., p. 360 Aussi la tâche de l’éducateur consiste surtout, en pareille matière à conduire le ... 45 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1004 Chacun de nous […] s ... 46 Ibid., p. 1060. 11Si elle permet de valider, par-delà l’analyse du bon sens comme santé mentale, les conclusions du discours de 1895, la distinction entre bon sens ordinaire, conduite sociale normale, et bon sens supérieur, conduite morale modifiant les normes sociales, est aussi l’annonce d’un changement dans la pensée morale bergsonienne. En effet, à présent, seul un nombre restreint de personnalités géniales possède le pouvoir de faire progresser la société que le discours de 1895 attribuait, à travers le bon sens comme santé de l’esprit, à chaque individu, à quelques degrés près de dispositions44. Ainsi, l’humanité ordinaire est réduite, en ce qui concerne la véritable morale, à un rôle passif d’imitation des grands modèles45, imitation qui devient dès lors, pour elle, le fondement de l’action morale et juste pour qui est dépourvu de géniale créativité cette passivité est tout juste corrigée par l’idée que cette imitation peut aussi se faire communication de l’élan et être l’occasion d’une éclosion puisqu’il peut y avoir en nous un mystique qui sommeille et qui attend seulement une occasion de se réveiller »46. Si le bon sens du discours trouve sa formulation finale dans le bon sens supérieur, alors l’espoir en un homme nouveau est interdit, puisque seule une élite morale, celle des mystiques et des êtres dotés du bon sens supérieur, peut constituer une espèce nouvelle, chaque fois réduite à un individu unique. 47 Bergson fonde probablement son interprétation de la morale kantienne sur l’analyse de la rupture d’ ... 48 Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, traduction Jean Tricot, Paris, Vrin, 1997, p. 298. 49 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 987. 50 Id., Le Rire, op. cit., p. 461. 12Le postulat de l’infaillibilité du bon sens à toujours produire l’action la plus juste, repris du discours dans Les deux sources, demande à être interrogé, et la question du fondement de la justice de l’action se pose d’autant plus âprement que, dans Les deux sources, Bergson rejette fermement aussi bien la tentative kantienne de fonder la morale dans la logique ou ce qu’il voit comme tel47 que les théories de type platonicien faisant dériver la justice de l’idée de Bien. En tant qu’instance poussant à accomplir irrémédiablement l’action la plus juste, il pourrait rappeler l’eustochia aristotélicienne, ou la justesse de coup d’œil »48 porté sur la situation, qui se passe de raisonnement, cependant, le fait que Bergson refuse de faire dériver le bon sens de l’habitude ou de l’expérience contredit ce rapprochement. Notons en tout cas que le fondement de l’excellence de l’action de bon sens semble reposer, suivant un schéma tout aristotélicien, sur l’excellence de l’agent qui dispose d’un bon sens supérieur, qu’elle contribue à exprimer en retour. Dans la mesure même où l’aspiration essentiellement morale du mystique ou du héros précède sa tendance à accomplir des actions morales, et que la crise mystique n’est pas l’expression du bon sens supérieur mais ce qui précède son apparition, c’est en définitive de l’excellence morale ou aspiration à la justice absolue que dérive la justice de l’action réalisée par le bon sens supérieur. Or dans la mesure où le bon sens supérieur se caractérise par un certain détachement à l’égard des exigences biologiques égoïstement utilitaires à la fois vitales et sociales dans leur dimension close, détachement lié au fait que, même si nous trouvons [la société] présente en nous », sa présence est plus ou moins marquée selon les individus »49, l’apparition de l’aspiration morale est due, comme le souligne Bergson, à une sorte de hasard vital comparable à celui qui préside, dans le Rire, à l’apparition des artistes50. Si la justesse de son ajustement à la situation présente est encore le signe du lien qu’entretient le bon sens supérieur avec les exigences vitales circulaires de la survie en société close, la justice de ce qu’il vise à produire a partie liée avec le vital au sens de la constante marche de l’élan, procédant par bonds, vers la création d’une société ouverte. C’est en cela que le bon sens supérieur est révélateur au sein de la pensée bergsonienne de ce qu’on pourrait appeler la contradiction du vital », c’est-à -dire la coexistence en son sein de l’élan et de la retombée. 51 Id., Deux sources, p. 1174. 52 Ibid., p. 1061. 53 Ibid., p. 1021. 54 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1245. 55 Le bon sens supérieur est lié à la partie la plus intime de lui-même que l’individu retrouve quand ... 56 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1020. 13Cette contradiction logée au cœur de la distinction entre les deux bons sens se retrouve dans l’expression de contradiction réalisée », employée par Bergson pour désigner la capacité des mystiques à convertir en effort créateur cette chose créée qu’est une espèce, faire un mouvement de ce qui est par définition un arrêt »51. Si l’aspiration morale, qui brise le cercle dans lequel tournent les individus et la société close, est encore une expression du vital, c’est que celui-ci a été redéfini entre l’Évolution créatrice et Les deux sources, passant d’un élan vers la vie sociale à un élan qui contient lui-même un germe moral, puisque selon le dernier ouvrage toute morale […] est d’essence biologique »52 et que le contact avec le principe vital est devenu la seule source où puiser la force d’aimer l’humanité »53. Si l’effort qui préside à ce contact est décrit par Bergson comme effort en sens inverse de la nature, c’est dans la mesure où la natura naturans effectue sa poussée contre l’inertie de la natura naturata ainsi, la morale de l’aspiration qui unit les individus d’un bon sens supérieur est dite rendre l’individu à sa destination naturelle en le rendant créateur, en accord avec l’univers dans sa dimension de machine à faire des dieux »54. Par conséquent, la distinction entre un bon sens supérieur et un bon sens ordinaire, tous les deux naturels en ces deux sens opposés, exprime la spécificité de l’espèce humaine en laquelle coexistent, en tant qu’elle est une espèce sociale, élan tension vers la société ouverte à travers des personnalités géniales et retombée tendance à la clôture. C’est dans un rapport croisé entre le moi » et la réalité extérieure et sociale que s’exprime l’entrecroisement de ces deux naturels ainsi, le bon sens supérieur, qui favorise l’action en direction du progrès de tous, est naturel dans la mesure où il naît d’un contact avec la réalité mouvante qui fait le fond des choses et les couches profondes du moi, ce qu’il y a de plus personnel, tandis que le bon sens ordinaire, qui vise un but essentiellement individuel l’adaptation en vue de la survie, est le produit d’une solidification naturelle du moi par le biais de normes et de processus d’adaptation essentiellement impersonnels exerçant une force d’inertie, ou plutôt entraînant dans un mouvement circulaire. Si la crise mystique qui précède l’apparition du bon sens supérieur n’est pas sans rappeler l’explosion créatrice du moi d’en bas, dans l’Essai, c’est peut-être parce qu’elle constitue la forme finale prise par l’acte libre dans la pensée bergsonienne, dans la mesure où elle est pensée à partir de la prise en compte de la pression fondamentale que la société exerce sur la constitution même de l’individu à laquelle participe le bon sens ordinaire qui n’avait pas encore été analysée au moment de l’Essai55. Exprimant les deux sens de la nature en l’homme, la distinction entre bon sens ordinaire et bon sens supérieur répond finalement à la constatation de ce que la morale comprend […] deux parties distinctes, dont l’une a sa raison d’être dans la structure originelle de la société humaine et dont l’autre trouve son explication dans le principe explicatif de cette structure »56. 57 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 361. 14Cette distinction permet également de résoudre le problème du rapport du bon sens à la pratique artistique c’est le bon sens supérieur, qui résulte d’un contact avec le principe créateur de la vie et produit des actes moraux prenant à leur tour la forme de créations à la fois de normes nouvelles et d’un nouveau moi, qui est dans la vie pratique, ce que le génie est dans les sciences et les arts »57 selon la formule du discours, et c’est le bon sens ordinaire qui, étant lié à la perception utilitaire de la réalité qu’il contribue à morceler avec souplesse, s’oppose à la pratique artistique comme au rêve, selon les analyses du Rire. 58 P. Janet, De l’angoisse à l’extase, Paris, Félix Alcan, 1926, p. 459. 59 Ibid., p. 464. 60 H. Bergson, Les deux sources, op. cit., p. 1170. 61 P. Janet, De l’angoisse à l’extase, op. cit., p. 461. 62 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1169. 15La question de savoir si la supériorité morale ne peut surgir que d’un effort dirigé contre le bon sens ordinaire, antérieurement défini comme état normal de l’esprit humain et santé psychologique, et ses préoccupations utilitaires, engage la viabilité de la morale bergsonienne. En effet, si la santé mentale d’un individu est liée à sa disponibilité passive à l’égard de l’environnement social et si le fondement de l’aspiration morale qui génère le bon sens supérieur est la libération à l’égard de l’utilité vitale et des normes sociales, alors apparaît la possibilité d’un conflit sous-jacent dans la pensée bergsonienne entre les définitions de l’individu normal et de l’individu moral. En ce qui concerne la problématique de la santé mentale, le principal interlocuteur, ou adversaire, de Bergson est Pierre Janet qui a pour ambition, dans De l’angoisse à l’extase, de mettre à jour la racine pathologique du délire mystique qu’il apparente à un trouble psychasthénique. À ce titre, il note que les croyances brutales » de sa patiente Madeleine, qu’il compare à Thérèse d’Avila, présentent en maints endroits des contradictions et ne tiennent aucun compte des règles vulgaires du bon sens »58, la principale caractéristique du discours mystique étant pour lui d’être une pensée en régression, analogue à celle des petits enfants et des sauvages »59. Pour lui répondre, Bergson tente d’abord de distinguer l’anormal de l’extraordinaire, puis finit par admettre qu’en tant que passage à l’extraordinaire c’est-à -dire au dynamique et à l’ouvert, la violence même du processus de libération mystique peut générer l’apparition de symptômes anormaux au sens de morbides et déranger les rapports habituels entre conscient et inconscient »60. Il est intéressant de constater que c’est de la présence, chez les mystiques, du bon sens supérieur sous la forme d’un goût de l’action », c’est-à -dire de ce par quoi le bon sens supérieur ressemble au bon sens ordinaire, que Bergson cherche à tirer argument pour justifier la santé mentale des mystiques contre Janet. Mais, comme le note celui-ci contre l’idée que la foisonnante activité des mystiques serait le signe de leur santé mentale l’état proprement psychasthénique n’est pas constant et un malade […] peut être en dehors de ces crises assez actif et persévérant pour accomplir des œuvres intéressantes »61. Mais l’originalité du bon sens supérieur est d’unir, dans le prolongement de la crise même » au sens où l’entend Janet, l’ajustement de l’action au réel et la visée plus haute inspirée par l’amour. C’est pourquoi Bergson va plus loin dans sa réponse et avance que le bon sens supérieur est une santé intellectuelle solidement assise, exceptionnelle, qui se reconnaît sans peine »62. Et, en effet, si l’on considère que l’aspiration morale est une forme de santé dans la mesure où elle est contact avec l’élan vital, nature naturante supérieure à la circularité de la nature naturée, et, dans la mesure où cette santé est réservée à une élite, alors se comprend le fait qu’il existe une santé mentale en un sens non métaphorique se caractérisant par l’exception et non par la moyenne cette santé est normale en un sens normatif sans être normal en un sens statistique. Mais si le bon sens supérieur est une santé intellectuelle », de quel genre d’état mental s’agit-il ? L’intelligence à laquelle Bergson fait référence ici ne peut pas être celle qui soumet le réel à son découpage utilitaire, mais au contraire une intelligence qui parvient à retrouver, entre les lignes de ce morcellement, le réel mouvant. 63 Ibid., p. 986. 64 Ibid., p. 986. 65 Ibid., p. 1243. 16L’équilibre des facultés qui caractérisait le bon sens ordinaire se transforme dans le bon sens supérieur en un équilibre d’un autre genre »63 auquel Bergson fait allusion au début des Deux sources, sans le lier à la problématique du bon sens supérieur qui n’a pas encore été évoquée, ainsi que le suggère allusivement le début des Deux sources, précisant toutefois au sujet de l’effort qui permet de s’enfoncer ainsi en soi à la découverte de son moi s’il est possible, il est exceptionnel »64. Il est possible d’avancer que cet équilibre d’un nouveau genre peut être lié à une forme de perception réelle quoiqu’anormale, justement parce qu’elle n’est pas contrainte par les exigences de l’action il doit y avoir, soit dans le corps, soit dans la conscience qu’il limite, des dispositifs spéciaux dont la fonction est d’écarter de la perception humaine les objets soustraits par leur nature à l’action de l’homme. Que ces mécanismes se dérangent, la porte qu’ils maintenaient fermée s’entrouvre quelque chose passe d’un en dehors », qui est peut être un au-delà ». C’est de ces perceptions anormales que s’occupe la science psychique »65. Ce qui serait ordinairement jugé pathologique, à savoir ces perceptions anormales », reçoit finalement une justification morale, puisque ces perceptions émanent de la santé supérieure que constitue l’équilibre supérieur de l’esprit mystique soustrait aux exigences d’utilité. Cela signifie non seulement que le normal psychologique qui n’est que l’état moyen de l’esprit des individus rivés à leur intérêt n’a pas à recevoir un statut normatif, mais surtout que le moral est une norme qui enjoint de dépasser purement et simplement l’équilibre normal de l’esprit, le réel se trouvant modifié à son tour parce qu’étendu à ce que les exigences vitales rejetaient. 66 D. Lapoujade, Sur un concept méconnu de Bergson l’attachement à la vie », in Frédéric Worms di ... 17L’anormal est peut-être même alors plus réel que le réel morcelé par les exigences vitales, auquel l’état normal de l’esprit donne accès, car tout se passe comme si l’équilibre humain, comme si la normalité engendrée par cet équilibre cessait d’être viable ; à un niveau plus profond, il est perçu et vécu comme un déséquilibre en tant que son modus vivendi ne cesse de réprimer les forces créatrices au sein de l’individu »66. Ériger l’anormal en norme morale permet donc à Bergson de modifier en retour la définition du normal par la mise en question de la validité de la perception normale c’est-à -dire habituelle elle-même, qui était au fondement à la fois de la définition de l’adaptation au réel, mais aussi du réel lui-même. Ce renversement illustre finalement pleinement la contradiction qu’on trouve au sein de l’œuvre bergsonienne entre le vital compris comme ensemble d’exigences d’utilité pour la survie individuelle et d’autre part comme élan créateur le second l’emporte finalement sur le premier puisque l’aspiration morale contribue à défaire le découpage utilitaire du réel et donne ainsi accès à l’élan vital lui-même. Haut de page Notes 1 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, Mélanges, Paris, PUF, 1972, p. 370. 2 Ibid., p. 364. 3 Ibid., p. 360. 4 H. Bergson, L’énergie spirituelle, op. cit., p. 893 Cela, c’est veiller, c’est vivre la vie psychologique normale, c’est lutter, c’est vouloir ». 5 Id., Matière et mémoire, Œuvres complètes, op. cit., p. 294 Entre ces deux extrêmes [l’impulsif et le rêveur] se place l’heureuse disposition d’une mémoire assez docile pour suivre avec précision les contours de la situation présente, mais assez énergique pour résister à tout autre appel. Le bon sens, ou sens pratique, n’est vraisemblablement pas autre chose ». 6 Il est, dans Le Rire, continuité mouvante de notre attention à la vie », Œuvres, op. cit., p. 475. 7 Ibid., p. 475. 8 Matière et Mémoire, op. cit., p. 296‑302. 9 Mélanges, op. cit., p. 620. 10 Le Rire, op. cit., p. 476. 11 V. Jankélévitch, Henri Bergson, Paris, PUF, 2008, p. 127‑128. 12 H. Bergson, Mélanges, op. cit., p. 620 Tous ne sont pas capables de cette vie de travail, tous n’ont pas également le sens du réel, le bon sens ». Pierre Janet remarque chez les psychasthéniques un caractère fondamental, difficile à expliquer, […] le caractère de la paresse » La force et la faiblesse psychologiques, Paris, éditions médicales Norbert Maloine, 1932, p. 275. 13 Dans Matière et Mémoire, Bergson semble encore n’attribuer à l’aliénation que des causes biologiques, à savoir la perturbation des relations sensori-motrices établies dans l’organisme » p. 313. 14 Le Rire, op cit., p. 450. 15 Les deux sources de la morale et de la religion, p. 1065. 16 Guy Lafrance, La philosophie sociale de Bergson, sources et interprétation, Ottawa, éditions de l’université d’Ottawa, 1974, p. 115 et suiv. 17 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1065. 18 Ibid., p. 1065. 19 Ibid., p. 1065. 20 Le Rire, op. cit., p. 457‑458. 21 Ibid., p. 451. 22 Ibid., p. 457. 23 Bergson fait référence de manière explicite à la conception cartésienne du bon sens dans le discours de 1895, il est même possible d’envisager que c’est en hommage au bon sens analysé par Descartes dans le Discours de la méthode que Bergson a conservé le terme bon sens » pour désigner l’équilibre psychique qu’il décrit. Les références à la problématique cartésienne du bon sens abondent dans le discours de 1895 le concept d’attention peut suggérer un arrière plan cartésien, et Bergson y évoque l’urgence de l’action en des termes qui rappellent ceux de Descartes pour qui les actions de la vie ne souffrent aucun délai ». Dans le discours de 1895, Bergson désigne le bon sens comme une ignorance consciente d’elle-même », termes qu’il répétera à l’identique dans son hommage à Descartes en 1937, lorsqu’il fait de celui-ci l’auteur de l’idée selon laquelle la vraie connaissance a moins de rapport avec une information superficiellement encyclopédique qu’avec une ignorance consciente d’elle-même ». Dans Le bon sens et les études classiques, Bergson ne nie pas directement que le bon sens soit la chose du monde la mieux partagée », mais il affirme que, si le bon sens est une faculté inné[e] et universel[le] », celle-ci est empêchée par certains obstacles, notamment les préjugés et la distraction avec laquelle l’individu les reçoit l’universalité en droit du bon sens s’accorde bien avec l’idée que le bon sens représente une sorte de santé mentale. Mais, à la différence du bon sens cartésien, le bon sens bergsonien ne nécessite pas l’adoption d’une méthode l’adaptation à la réalité qui résulte du bon sens est spontanée, l’action qui en est issue tranche, brise le cercle, puisqu’elle est puissance d’invention de solutions. En outre, il n’est pas à proprement parler une faculté, que l’on pourrait rabattre soit sur l’intelligence, soit sur l’intuition, mais bien plutôt un état d’équilibre entre facultés, tempérant l’action de chacune en vue d’une bonne adaptation. 24 H. Bergson, Le Rire, op. cit., p. 452‑453. 25 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 365. 26 Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1174. 27 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 366. 28 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1056. 29 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 362. 30 Ce que Guy Lafrance appelle une justice intuitive », cf. La philosophie sociale de Bergson, sources et interprétation, op. cit., p. 115 et suiv. 31 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 32 Ibid., p. 362. 33 Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1169. 34 Ibid. p. 1172. 35 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 36 Les deux sources de la morale et de la religion, p. 1017. 37 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364 Instrument, avant tout, de progrès social, il ne peut tirer sa force que du principe même de la vie sociale, l’esprit de justice ». 38 Ibid., p. 366. 39 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 40 Georges Mourélos, Bergson et les niveaux de réalité, Paris, PUF, 1964, p. 175‑176. 41 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 365. 42 Id., Deux sources, op. cit., p. 1169. 43 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 361. 44 Ibid., p. 360 Aussi la tâche de l’éducateur consiste surtout, en pareille matière à conduire les uns par un artifice, là où d’autres sont tout de suite placés par nature ». 45 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1004 Chacun de nous […] s’est demandé ce que tel ou tel eût attendu de lui en pareille occasion ». 46 Ibid., p. 1060. 47 Bergson fonde probablement son interprétation de la morale kantienne sur l’analyse de la rupture d’une promesse ou celle du suicide dans Les fondements de la métaphysique des mœurs et dans le chapitre premier de l’Analytique de la Critique de la raison pratique. Il critique Kant en affirmant que jamais […] on ne sacrifierait au seul besoin de cohérence logique son intérêt, sa passion. » Les deux sources, op. cit., p. 994. 48 Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, traduction Jean Tricot, Paris, Vrin, 1997, p. 298. 49 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 987. 50 Id., Le Rire, op. cit., p. 461. 51 Id., Deux sources, p. 1174. 52 Ibid., p. 1061. 53 Ibid., p. 1021. 54 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1245. 55 Le bon sens supérieur est lié à la partie la plus intime de lui-même que l’individu retrouve quand sa conscience, travaillant en profondeur, lui révèle, à mesure qu’il descend davantage, une personnalité de plus en plus originale, incommensurable avec les autres et d’ailleurs inexprimable » Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 986. 56 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1020. 57 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 361. 58 P. Janet, De l’angoisse à l’extase, Paris, Félix Alcan, 1926, p. 459. 59 Ibid., p. 464. 60 H. Bergson, Les deux sources, op. cit., p. 1170. 61 P. Janet, De l’angoisse à l’extase, op. cit., p. 461. 62 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1169. 63 Ibid., p. 986. 64 Ibid., p. 986. 65 Ibid., p. 1243. 66 D. Lapoujade, Sur un concept méconnu de Bergson l’attachement à la vie », in Frédéric Worms dir., Annales bergsoniennes, tome 4, Paris, PUF, 2009, p. 689. Haut de page Pour citer cet article Référence papier Clarisse ZOULIM, La notion de bon sens dans la philosophie d’Henri Bergson », Philonsorbonne, 6 2012, 83-96. Référence électronique Clarisse ZOULIM, La notion de bon sens dans la philosophie d’Henri Bergson », Philonsorbonne [En ligne], 6 2012, mis en ligne le 04 février 2013, consulté le 23 août 2022. URL ; DOI de pageBERGSON La pensée et le mouvant, 1934. Corrigé du sujet de l’extrait de Henri Bergon : Il est question dans ce texte de la vérité. Thèse de l’auteur : La vérité est dite comme l’affirmation qui concorde avec la réalité. Or cette concordance n’est pas seulement une copie de la réalité. Henri Bergson (1859- 1941) a beaucoup
Ce post est issu d'un fil consacré à un petit extrait du § 65 de la Critique de la faculté de juger. Comme le fil d'origine déborde déjà bien assez de son lit tout seul, je place ici la suite de ma petite trois textesTroisième texteAu terme d'un examen même très rapide, un propos principal semble net, la difficulté est plutôt de le localiser, vu que l'écriture de ce passage semble quasi répétitive. On peut le résumer d'un trait en disant qu'il s'agit d'attribuer éminemment à l'homme un désir de faire société. Quelqu'un qui connaît bien Hume aura tendance à détacher particulièrement le concept de sympathie », mais à l'échelle de ce passage TNH, II, ii, 5 ce n'est pas contraignant, et le passage ne se prête pas bien à tout un exposé général sur le rôle certes central de ce concept chez me semble que la couleur est clairement annoncée dès le départ Dans toutes les créatures qui ne font pas des autres leurs proies et que de violentes passions n'agitent pas, se manifeste un remarquable désir de compagnie, qui les associe les unes les autres. Ce désir est encore plus manifeste chez l'homme celui-ci est la créature de l'univers qui a le désir le plus ardent d'une société, et il y est adapté par les avantages les plus nombreux. Nous ne pouvons former aucun désir qui ne se réfère pas à la société. On a le sentiment que ce qui suit immédiatement constitue une variation sur le thème ou plutôt sur la thèse, qui l'illustre sur des exemples d'une assez grande généralité sans ce désir la solitude ne serait pas une punition, et la pire de toutes ; sans ce désir nous ne constaterions pas que tout plaisir languit de n'être pas partagé. La dernière phrase du petit passage que j'isole ainsi généralise de nouveau toutes les passions ont pour principe la sympathie », nous dit-on La parfaite solitude est peut-être la plus grande punition que nous puissions souffrir. Tout plaisir est languissant quand nous en jouissons hors de toute compagnie, et toute peine devient plus cruelle et plus intolérable. Quelles que soient les autres passions qui nous animent, orgueil, ambition, avarice, curiosité, désir de vengeance, ou luxure, le principe de toutes, c'est la sympathie elles n'auraient aucune force si nous devions faire entièrement abstraction des pensées et des sentiments d'autrui. Ce qui reste du texte se détache méthodologiquement, puisqu'on procède à une expérience de pensée on imagine un homme qui.... Pour autant il est difficile d'affirmer que des arguments entièrement nouveaux alimentent ce passage ce qui sert d'argument, ici, c'est l'accord supposé, et attendu, sur le résultat de cet exercice de l'imagination personne ne dira heureux notre homme supposé tout puissant et tout seul. Faites que tous les pouvoirs et tous les éléments de la nature s'unissent pour servir un seul homme et pour lui obéir ; faites que le soleil se lève et se couche à son commandement ; que la mer et les fleuves coulent à son gré ; que la terre lui fournisse spontanément ce qui peut lui être utile et agréable il sera toujours misérable tant que vous ne lui aurez pas donné au moins une personne avec qui il puisse partager son bonheur, et de l'estime et de l'amitié de qui il puisse jouir. Bref, un texte dont la thèse est très facilement identifiable, mais dont la structure paraît un peu lâche ─ Hume a de ces passages, qui alternent avec le contraire exact, une écriture argumentative très serrée ─ et qui serait difficile à commenter en raison même du fait qu'il donne l'impression de se répéter un à cela, il faut surtout développer ce que Hume ne développe pas p. ex. montrer comment l'avarice mais aussi l'ambition, la curiosité, etc. réfère à autrui. C'est plus ou moins facile selon les cas par exemple il faut brancher le désir de vengeance » sur la sympathie », et pour cela définir celle-ci dans la mesure où les indices contenus dans le texte le permettent. Commenter le rêve de toute-puissance qui se fait jour dans l'hypothèse. Bref, il est bien clair que si le texte donne un peu l'impression d'être répétitif, il faudra tout faire pour que l'explication évite de l' texteJe souligne les deux propositions qui me semble-t-il doivent sauter aux yeux comme constituant la thèse du texte. Plus précisément, n'importe laquelle des deux convient ; selon l'auteur Spinoza, Traité politique, VI la seconde revient à la première en d'autres termes » nous fait passer de l'une à l'autre ─ en la précisant, imagine-t-on sinon, pourquoi deux formulations ?. Ici, restituer la thèse en concaténant deux énoncés est possible, mais c'est parce que le texte l'autorise en présentant ces énoncés comme à peu près équivalents. On pourrait donc dire que la thèse du texte est que L'État doit être organisé [de façon à ce que] tous, par force et par nécessité si ce n'est spontanément, soient contraints de vivre selon la discipline de la raison ». Ce qui, bien entendu, n'éclaire pas tant que cette proposition même notamment l'idée d'une discipline de la raison » n'est pas rendue claire. Si la constitution naturelle des hommes leur faisait désirer avec le plus d'ardeur ce qui tend à leur plus haut intérêt, toute intervention expresse, en vue de faire régner la concorde et la bonne foi, serait superflue. Mais telle n'est pas la pente habituelle de la nature humaine, on le sait. L'Etat doit donc être organisé nécessairement de manière que tous, gouvernants et gouvernés - qu'ils agissent de bon ou de mauvais gré - n'en mettent pas moins leur conduite au service du salut général. En d'autres termes, il faut que tous, par force et par nécessité si ce n'est spontanément, soient contraints de vivre selon la discipline de la raison. Pour que soit atteint ce résultat, le fonctionnement de l'Etat sera réglé de telle sorte, qu'aucune affaire important au salut général ne soit jamais confiée à un seul individu, présumé de bonne foi. Car l'homme le plus vigilant est cependant assujetti au sommeil, par intervalles, le plus fort et le plus inébranlable est sujet à faiblir ou à se laisser vaincre, aux moments précis où il aurait besoin de la plus grande énergie. Ce qui précède et ce qui suit s'articule logiquement de manière me semble-t-il claire à l'énoncé central. On a d'un côté une partie de ce qui rend nécessaire la contrainte étatique présentée sous la forme d'un résultat à atteindre, c'est intéressant de le remarquer, et de l'autre, à la fin donc, l'une des conditions à remplir pour atteindre ce résultat, avec sa forte, énoncé net, c'est du pain bénit, si j'ose dire, ça se commente tout seul. La différence entre une explication qui explique et une explication qui explique vraiment se ferait probablement sur la finesse avec laquelle seraient restituées les nuances conceptuelles concorde », bonne foi » [qui est une exécrable traduction de fides mais bon c'est le texte que les élèves ont eu...] et les synonymies que le texte apparemment impose le service du salut général » et la discipline de la raison » seraient la même chose la retraduction n'est pas triviale.Premier texteLe plus court de ces textes, maintenant Un philosophe a dit que c'est une faiblesse que d'avoir de la honte et de la pudeur pour des actions infâmes. On dit souvent de semblables paradoxes par une fougue d'imagination, ou dans l'emportement de ses passions. Mais pourquoi condamnera-t-on ces sentiments, s'il n'y a un ordre, une règle, une raison universelle et nécessaire, qui se présente toujours à ceux qui savent rentrer dans eux-mêmes ? Nous ne craignons point de juger les autres ou de nous juger nous-mêmes en bien des rencontres; mais par quelle autorité le faisons-nous, si la Raison qui juge en nous, lorsqu'il nous semble que nous prononçons des jugements contre nous-mêmes et contre les autres, n'est notre souveraine et celle de tous les hommes ? Certes le point d'aboutissement du raisonnement est bien que juger, c'est juger selon une raison universelle et nécessaire ». Il n'y a pas de place pour autre chose ; c'est la conclusion du raisonnement et le texte ne contient rien d'autre que ce raisonnement ; c'est donc la thèse du je pense qu'on s'accordera pour dire à la fois que l'intérêt du texte n'est pas du tout là , mais uniquement dans l'argument qui nous demande de nous appuyer sur la condamnation ─ supposée acquise ─ du propos du philosophe » en question incidemment, il s'agit de Diogène, pour remonter ensuite à ce qui nous autorise » à le condamner ainsi. Avec tout ce qu'il y a à restituer d'implicite dans la prémisse latente suivant laquelle le jugement ne peut s'autoriser de rien d'autre que d'une raison universelle ».J'ajoute, d'ailleurs, qu'on peut légitimement hésiter un moment avant d'identifier à quoi renvoie l'expression ces sentiments ». Si ces sentiments » étaient la honte et la pudeur » et non les paradoxes » du genre de ceux de Diogène, le texte prendrait un tout autre sens, et il faudrait en reformuler le propos ; l'argument central se comprenant différemment également.Si donc je devais présenter le propos du texte, je ne me contenterais pas d'en énoncer la conclusion, ce serait une description excessivement rachitique. Je dirais que ce texte invite à remonter à l'idée d'une raison universelle et nécessaire » comme à l'un des présupposés de tout jugement ─ et du jugement moral en l'occurrence, puisque c'est sur cet exemple que la conclusion est conquise.Ce texte est extrait de l'Éclaircissement X à la Recherche de la vérité de Malebranche.Un mot de commentaire ?Tout ce que j'entendais montrer en regardant rapidement ces quelques textes, c'est que même dans le cas où un texte à commenter soutient une thèse aisément identifiable, elle ne s'identifie pas nécessairement de la même façon selon le texte. Il peut même arriver qu'un texte, encore qu'extrêmement bref, ne soit caractérisé que de façon très insatisfaisante par l'énoncé de la thèse la conclusion à laquelle il fait partie des raisons pour lesquelles je préfère parler d' opération principale » d'un texte, soutenir/démontrer une thèse » n'étant qu'une opération possible, parmi d' autre type de texteIl y a quelques années j'ai proposé ça à des L2. Marc-Aurèle, Pensées, IX, 1. L'injustice est une impiété. La nature universelle, ayant constitué les êtres raisonnables les uns pour les autres, a voulu qu'ils s'entr'aidassent selon leur mérite respectif, sans se nuire d'aucune manière. L'homme qui transgresse ce dessein de la nature comment évidemment une impiété envers la plus vénérable des mensonge aussi est une impiété à l'égard de la même divinité. La nature universelle est la nature des choses, et les choses ont un rapport d'affinité avec ce qu'on dit de vrai à leur sujet. En outre on appelle encore cette déesse la Vérité et elle est la cause première de tout ce qui est vrai. Donc l'homme qui ment volontairement attente à la piété, puisque, en trompant, il commet une injustice ; et, de même,celui qui ment involontairement, en tant qu'il détone dans la nature universelle et qu'il la dépare en combattant la nature du monde. Il la combat, l'homme qui se porte à l'encontre de la vérité en dépit de lui-même il avait reçu de la nature des dispositions qu'il a négligées et maintenant il n'est plus capable de distinguer le vrai du outre, l'homme qui recherche les plaisirs comme des biens et qui fuit les douleurs comme des maux est aussi coupable d'impiété. Il est inévitable, en effet, qu'un tel homme accuse fréquemment la nature universelle de faire une répartition inique entre les méchants et les gens de bien ; car il arrive fréquemment que les méchants vivent dans les plaisirs et amassent tout ce qui peut procurer du plaisir, tandis que les gens de bien tombent dans la douleur et les accidents qui la causent. En outre, celui qui craint la douleur craindra un jour ou l'autre quelque événement, de ceux qui doivent arriver dans le monde c'est déjà une impiété. Et celui qui poursuit les plaisirs ne pourra s'abstenir de l'injustice ; c'est une impiété manifeste. Il faut, pour les choses à l'égard desquelles la nature universelle se comporte de manière égale elle ne produirait pas les unes et les autres, si elle ne se comportait à leur égard de manière égale, il faut, dis-je, que ceux qui veulent prendre la nature pour guide et vivre d'accord avec elle imitent ses dispositions égales à leur égard. Donc, vis-à -vis de la douleur et du plaisir, de la mort et de la vie, de la gloire et de l'obscurité, choses dont s'accommode également la nature universelle, quiconque ne se comporte pas d'une manière égale commet une évidente impiété. Je pense que sur un texte de ce type, certes difficile, une recherche trop mécanique de la thèse » et du problème » risque d'aboutir à un résultat décevant. Ou même sur quelque chose de très classique comme ceci Bergson, La Pensée et le mouvant, 1292/51, qui est parfois proposé aux élèves de Terminale dans un découpage différent [La philosophie] nous affranchit de certaines servitudes spéculatives quand elle pose le problème de l'esprit en termes d'esprit et non plus de matière, quand, d'une manière générale, elle nous dispense d'employer les concepts à un travail pour lequel la plupart ne sont pas faits. Ces concepts sont inclus dans les mots. Ils ont, le plus souvent, été élaborés par l'organisme social en vue d'un objet qui n'a rien de métaphysique. Pour les former, la société a découpé le réel selon ses besoins. Pourquoi la philosophie accepterait-elle une division qui a toutes chances de ne pas correspondre aux articulations du réel? Elle l'accepte pourtant d'ordinaire. Elle subit le problème tel qu'il est posé par le langage. Elle se condamne donc par avance à recevoir une solution toute faite ou, en mettant les choses au mieux, à simplement choisir entre les deux ou trois solutions, seules possibles, qui sont coéternelles à cette position du problème. Autant vaudrait dire que toute vérité est déjà virtuellement connue, que le modèle en est déposé dans les cartons administratifs de la cité, et que la philosophie est un jeu de puzzle où il s'agit de reconstituer, avec des pièces que la société nous fournit, le dessin qu'elle ne veut pas nous montrer. Dernière édition par PauvreYorick le Ven 7 Nov 2014 - 947, édité 1 fois Raison modification du titre
Physiqueet Chimie: 5ème. exercice physique chimie 5ème Exercices Corriges PDF. Diviseurs et multiples exercices corrigés pdf cm1 b) Donner le quotient entier et le reste de la division euclidienne de 232 par 7. c) Trouver quatre diviseurs du nombre 217.Avant-propos Le recueil est présenté comme complément » de L’Énergie spirituelle, ce dernier portant sur des résultats » tandis que l’autre porte sur la méthode », et plus précisément sur l’origine » de celle-ci, ainsi que sur la direction qu’elle imprime à la recherche ». La distinction entre les deux n’a rien de nouveau, et remonte aux Grecs, notamment à Platon et Aristote. L’idée s’est rapidement imposée que la découverte du vrai supposait un cheminement adéquat de la pensée. Mais distinction ne signifie pas dissociation. C’est la pensée moderne, avec Descartes, qui fait de la définition de la méthode un préalable à la démarche de connaissance, conception que prolonge le criticisme kantien en jugeant nécessaire à la connaissance une détermination préalable des limites de la connaissance, à partir d’une réflexion philosophique sur les méthodes des mathématiques et de la physique expérimentale, censée valoir pour la connaissance en général. Il apparaîtra vite assez évident que Bergson s’oppose, souvent explicitement, aux diverses formes de l’idéalisme moderne géométrisation de la physique chez Descartes, et réduction kantienne du temps, à l’instar de l’espace, au statut de forme de la sensibilité, condition a priori des constructions conceptuelles de la mathématique. Par là Bergson se rapproche sans doute des Grecs, et notamment d’Aristote – car le rationalisme cartésien est une résurgence du platonisme. Pour l’aristotélisme, aucune méthode correcte de recherche scientifique ne peut être définie purement a priori, indépendamment d’une certaine connaissance préalable de son objet, acquise fondamentalement à partir de l’expérience sensible. La séparation de la méthode et des résultats est une modalité pédagogique de leur présentation la définition de celle-là suppose que certains de ceux-ci ont été déjà acquis. Cela est vrai a fortiori de la méthode bergsonienne, à savoir l’intuition », laquelle n’est pas définissable abstraitement et à part, mais n’est connaissable que dans son acte même. Hegel écrivait déjà qu’en philosophie, la méthode ne fait qu’un avec l’objet, n’étant pas un mode d’emploi de la pensée qu’il faudrait appliquer, mais au contraire l’autodéveloppement, tout à la fois, de la pensée et de son objet qui, dans la connaissance, ne font qu’un. Or Hegel l’entendait dans un sens conceptualiste et rationaliste que précisément Bergson récuse, tout en cherchant dans l’intuition la véritable pensée du devenir, en ce qu’elle n’en est pas la reconstruction conceptuelle, mais au contraire l’appréhension immédiate dans et par le devenir même de la pensée. On comprend que s’il est possible de définir la direction » de la recherche » sans préjuger des résultats de celle-ci, ce ne peut être qu’en montrant, de façon négative, l’incapacité d’autres méthodes, répondant à des projets spécifiques, à donner connaissance de ce dont elles supposent l’existence sans permettre de vraiment l’appréhender, cela même que Bergson appelle la durée. [Voir Sur cette notion de direction », voir Les sciences, œuvres de l’intelligence conceptualisante, visent à la maîtrise du monde matériel. Cela ne les empêche pas d’être vraies, mais si l’on peut montrer que, ce faisant, elles renoncent à considérer quelque chose que pourtant elles supposent, on ouvrira par là ‑même une autre voie de recherche, qui retrouvera la visée théorique, c’est-à -dire spéculative et non plus pragmatique, qui était celle de la philosophie grecque. Bergson pense simplement que la limite de cette dernière est d’avoir cru qu’il était possible de remplir cette visée au moyen de concepts qui ne peuvent convenir vraiment qu’au travail d’explication scientifique. Kant a pour lui montré l’impasse de cette forme de la spéculation méta-scientifique, mais il s’y est à son tour enfermé et, tout en voyant qu’elle ne serait possible que par le recours à une intuition, a jugé à tort cette dernière impossible, faute de considérer l’appréhension du temps dans ce qu’elle a de joints La pensée et le mouvant. Commentaire - Introduction I et II - Le possible et le réel - L'intuition philosophique extrait La pensée et le mouvant. Commentaire - Introduction I et II - Le possible et le réel - L'intuition philosophique complet
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